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‘’Nous allons ouvrir des classes préparatoires à l’université’’

Enseignement supérieur/ Pr Adama DIAWARA

 

Monsieur le ministre, vous vous apprêtez à aborder une nouvelle année académique dans les institutions d’enseignement supérieur. Quel bilan faites-vous de l’année écoulée dans un contexte de crise sanitaire de Covid-19 ?

Je voudrais relever qu’au moment où le Président de la République, SEM. Alassane Ouattara, m’a nommé à la tête du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (Mesrs, ndlr), les établissements d’enseignement supérieur étaient tous fermés pour cause de pandémie de Covid-19. La pandémie étant maîtrisée dans notre pays, avec un taux de positivité faible et un taux de létalité encore plus faible, le gouvernement a autorisé la réouverture des structures d’enseignement supérieur, quelques jours après ma nomination. Pour assurer la continuité pédagogique, tout en évitant une explosion des contaminations au virus Sras-Cov2 dans le milieu universitaire. J’ai dû demander aux structures d’enseignement supérieur d’adopter une forme hybride de formation, à savoir l’enseignement présentiel pour les niveaux d’études à faible effectif tels que les Master 1 et 2, et les cours en ligne pour les niveaux d’études à grand effectif telles que les Licences 1, 2 et 3. Cela a permis aux universités et grandes écoles publiques et privées de reprendre les cours et d’achever l’année académique 2019-2020. Ainsi, les universités ont pu organiser leurs examens semestriels 2019-2020 et le ministère a pu organiser les examens du Brevet de technicien supérieur (Bts) session 2020. Je peux donc affirmer que les choses se sont relativement bien passées, malgré le contexte très délicat de pandémie. Il faut tout de même reconnaître que cette pandémie a eu un impact négatif sur l’apprentissage des apprenants. Cela s’est soldé par la chute du taux de réussite à certains examens. À titre d’exemple, le taux de réussite au Bts est passé de 73,38% en 2019 à 52,93% en 2020, soit une chute de 20,45 points. De même, au niveau de certains examens universitaires, des résultats en deçà de nos attentes ont conduit des jurys à revoir quelque peu la barre de repêchage. Cependant, des structures telles que l’Institut national polytechnique Houphouët-Boigny à Yamoussoukro (INP-HB), l’un des pôles d’excellence de notre système d’enseignement supérieur, ont enregistré de bons résultats. Par exemple, six étudiants de cet Institut ont été admis au concours d’entrée à la prestigieuse École X Polytechnique de Paris. Hormis ce bilan contrasté, relatif au rendement interne du système d’enseignement supérieur, il faut noter que, malgré le climat politique délétère induit par la présidentielle d’octobre 2020, l’espace universitaire a connu très peu de perturbation, et cela grâce au dialogue social permanent que j’ai instauré avec l’ensemble des partenaires sociaux, notamment les syndicats d’étudiants, d’enseignants et de personnels administratifs et techniques.

Vous avez pu organiser le Bts, et vous disiez lors de l’une de vos interventions que vous seriez à même d’arriver à une rentrée académique unique aussi bien dans les structures publiques que privées, qu’en est-il ?

Tout se déroule comme prévu, à quelques détails près. Toutes les universités et grandes écoles, publiques comme privées, ont entamé l’année académique 2020-2021. Certaines structures ont même commencé le deuxième semestre 2020-2021. Si aucun événement majeur ne vient perturber le déroulement des cours, toutes les structures pourront achever l’année académique 2020-2021 à temps, pour que la rentrée 2021-2022 se fasse de façon unique, dans toutes les universités et grandes écoles publiques et privées le 18 octobre 2021. Le ministère fera tout ce qui est de son ressort pour que cet agenda soit respecté. Ainsi, pour éviter les grèves d’étudiants ou d’enseignants qui sont généralement à la base de la perturbation des années académiques, nous allons intensifier le dialogue social avec les différents partenaires sociaux, et apporter une réponse efficace, je dirais même efficiente, donc durable, au fameux problème des heures complémentaires des enseignants. La résolution de ce fâcheux problème, qui a toujours empoisonné le milieu universitaire, passe par l’élaboration de maquettes pédagogiques cohérentes et pertinentes, le respect strict des charges d’enseignement dues par les enseignants, le contrôle efficace des heures d’enseignement effectuées par les enseignants, la fixation du nombre d’étudiants par groupe de travaux dirigés (TD) et de travaux pratiques (TP), le calcul correct des volumes d’heures complémentaires réellement effectuées par les enseignants, la fixation des nouveaux taux horaires d’heures complémentaires et le paiement à temps de ces heures complémentaires. Ce vaste chantier fait partie des chantiers stratégiques sur lesquels le ministère a commencé à travailler, après avoir résolu les problèmes urgents que nous avons trouvés à notre arrivée à la tête de ce département ministériel.

Quelle est votre vision pour un enseignement supérieur et une recherche scientifique de qualité pour la Côte d’Ivoire ?

Ma vision du système d’enseignement supérieur et de recherche scientifique est tout simplement celle du Président de la République, à savoir un enseignement supérieur qui forme des ressources humaines de qualité et une recherche scientifique qui résout les problèmes de développement auxquels le pays est confronté. S’agissant de la recherche, il faut d’abord résoudre le problème crucial de son financement. Pour rappel, l’initiative de Lagos, endossée par l’Union africaine, demande à chaque État africain d’allouer 1% de son Produit intérieur brut (Pib) au financement de la recherche. Or, notre pays en est à 0,35% de son Pib affecté à la recherche scientifique. Une grande partie de ce financement émanant de l’État, nous ferons en sorte que le secteur privé finance beaucoup plus la recherche. Nous avons déjà entamé cette démarche auprès du patronat. Par ailleurs, nous mettrons l’accent sur la valorisation économique des résultats de la recherche. Il ne faut pas s’arrêter à la seule valorisation académique des résultats de la recherche, comme c’est le cas aujourd’hui. Quant à la formation des ressources humaines de qualité par notre système d’enseignement supérieur, il s’agit là d’un vaste chantier, dont la conduite nécessite la résolution des problèmes de fond qui dégradent la qualité de notre enseignement supérieur. Cela commence par la lutte contre le phénomène de massification, qui tire la qualité des enseignements vers le bas. Ainsi, outre l’achèvement des travaux de construction des universités de San Pedro et Bondoukou, qui sont en cours et qui permettront d’augmenter sensiblement la capacité d’accueil des universités publiques, nous ferons respecter les critères d’accès aux différentes filières de formation des universités publiques, tout comme les capacités d’accueil de ces filières, capacités d’accueil qui, elles-mêmes, sont liées aux disponibilités en infrastructures, en équipements et en enseignants. De même, nous ferons respecter les critères de rétention des apprenants dans les filières, notamment en formation continue, sans galvauder les contenus des formations ni les niveaux des évaluations des étudiants. Tout cela nous oblige à être plus stricts sur le recrutement et le suivi des enseignants et des personnels administratifs et techniques. Par exemple, pour être recrutés, les enseignants devront signer des contrats dans lesquels leurs droits et devoirs seront clairement consignés. Hormis toutes ces stratégies, qui visent à améliorer notamment le rendement interne de notre système d’enseignement supérieur, nous adopterons ce qu’il convient d’appeler la chaîne vertueuse qui boostera indubitablement le rendement externe de notre système, et donc permettra de résoudre l’épineux problème d’inadéquation formation-emploi, l’une des faiblesses majeures de notre système d’enseignement supérieur.

Quelle est cette chaîne vertueuse ?
Il s’agit premièrement du listage des filières porteuses d’emplois, par l’étude des bassins d’emplois ; deuxièmement, de la définition des profils de compétence relatifs à ces filières porteuses, en discussion avec les 13 branches professionnelles ; et troisièmement de l’élaboration des curricula permettant d’obtenir les profils de compétence recherchés. À ce stade de mon propos, permettez que je parle de deux futurs chantiers d’importance capitale pour le ministère. Il s’agit d’abord de l’ouverture de classes préparatoires dans les universités publiques complètes, c’est-à-dire les universités Félix Houphouët-Boigny de Cocody, Alassane Ouattara de Bouaké et Péléforo Gon Coulibaly de Korhogo. Les classes préparatoires accueilleront les bacheliers les plus jeunes et les plus brillants, qui seront encadrés par les meilleurs enseignants. Ces bacheliers brillants sont destinés à être les locomotives de la Côte d’Ivoire de demain. Il y a ensuite les Instituts universitaires de formation professionnelle et technique, qui délivreront des Licences professionnelles donnant directement accès au marché de l’emploi formel et informel et de l’auto-emploi. Ces futures structures intra-universitaires, véritables vecteurs de lutte contre l’inadéquation formation-emploi, sont d’autant plus importantes que, selon les dernières statistiques émanant du Rapport d’état sur le Système éducatif national, le Resen 2016, pour 34.000 étudiants sortant de notre système d’enseignement supérieur en 2013, seuls 9.900 emplois modernes, publics et privés réunis, étaient disponibles, soit 1 emploi moderne pour plus de 3 étudiants sortants. Notons que ce grand déséquilibre quantitatif induit malheureusement un déclassement et un désajustement massifs chez les étudiants sortants. En 2013, 80% des personnes en situation d’emploi étaient déclassées, c’est-à-dire qu’elles occupaient des emplois de catégorie inférieure à ce qu’elles escomptaient à la sortie de l’école, et 46% étaient désajustées, c’est-à-dire qu’elles occupaient des emplois qui ne correspondaient pas aux compétences acquises au cours de leur formation. Pour terminer, j’évoquerais, sans entrer dans les détails, deux autres chantiers que nous mènerons bientôt. Il s’agit, d’une part, de l’organisation de cours de renforcement pour les bacheliers orientés dans nos universités publiques, avant le début de l’année académique. Cela permettra de corriger quelque peu les lacunes accumulées par ces apprenants depuis le primaire. Il s’agit, d’autre part, d’inciter les compétences avérées de l’administration publique et du secteur privé à venir dispenser des cours dans nos universités publiques, sous forme de séminaires de courte durée.

Les problèmes qui minent votre département ministériel sont légion. Les étudiants et parents d’étudiants se plaignent de l’inexistence d’une commission d’orientation pour les bacheliers ; ils se plaignent également des frais d’inscription que vous auriez augmentés, notamment à l’université Félix Houphouët-Boigny pour les doctorants…
La Commission d’orientation des bacheliers existe bel et bien. Elle est dirigée par le directeur de Cabinet du Mesrs. Elle a procédé à l’orientation des bacheliers 2020 selon une méthodologie et des critères bien définis, qui ont été exposés récemment dans une communication en Conseil des ministres. Par exemple, pour être orienté en Licence 1 de Mathématique-Informatique de l’université Félix Houphouët-Boigny, le bachelier doit obéir aux critères suivants : 1) Avoir demandé à être orienté à l’université Félix Houphouët-Boigny, dans la filière Mathématique-Informatique ; 2) Être âgé de 23 ans au maximum ; 3) Avoir obtenu au Bac au minimum 12 en Mathématiques et 10 en Sciences Physiques pour les candidats de série C, 14 en Mathématiques et 14 en Sciences Physiques pour les candidats de série D et 11 en Mathématiques et 10 en Sciences Physiques pour les candidats de série E ; 4) Être parmi les 300 premiers bacheliers respectant les trois critères ci-dessus, le classement se faisant à partir des moyennes générales au Bac et la capacité d’accueil de cette filière étant de 300 places en Licence 1. Pour l’orientation dans les grandes écoles privées, la Commission a tenu compte des taux de réussite des différentes écoles au BTS 2019. Cela dit, à partir de cette année 2021, le nombre de bacheliers affectés dans une université ou une grande école privée sera fonction de la note d’évaluation de cet établissement, note qui sera une moyenne pondérée de ses notes relatives à la qualité de ses infrastructures, à la qualité de ses équipements, à la compétence de ses enseignants, à son taux de réussite moyen au Bts et à son rendement externe, c’est-à-dire le taux d’insertion de ses diplômés. C’est le lieu de battre en brèche un certain nombre de contrevérités véhiculées sur les réseaux sociaux : le nombre de bacheliers 2020 orientés dans les établissements privés est de 59.863 et non 99.782 ; le coût unitaire de formation dans les universités publiques est de 882.480 FCFA et non 60.000 FCFA. Comme vous le constatez, ces énormes contrevérités ont été abondamment relayées sur les réseaux sociaux à des fins de pure manipulation de l’opinion publique. C’est également le lieu de dire qu’il est impossible d’affecter des bacheliers dans tous les 608 établissements privés. Ces derniers devraient être de véritables établissements privés et non des établissements publics déguisés, qui ne vivent que des frais de scolarité payés par l’État pour les apprenants affectés dans le privé. S’agissant de l’augmentation des frais d’inscription, je m’érige en faux contre cette assertion. Comme je l’ai dit sur les antennes de vos confrères de la RTI 1, les frais d’inscription demeurent aux niveaux fixés par le gouvernement, à savoir 30.000 FCFA pour les Licence 1, 2 et 3, 60.000 FCFA pour les Master 1 et 2 et 90.000 FCFA pour les Doctorat 1, 2 et 3. D’ailleurs, en attendant le séminaire sur les Écoles doctorales, au niveau des universités et grandes écoles publiques, les formations doctorales sont maintenues, avec comme frais d’inscription les 90.000 FCFA fixés par le gouvernement.

Quelles dispositions avez-vous prises pour assurer la continuité pédagogique maintenant que les établissements ont rouvert leurs portes et qu’il faut en même temps respecter les mesures barrières contre la Covid-19 ?

Comme je l’ai dit tantôt, les cours se font sous une forme hybride. C’est-à-dire l’enseignement présentiel pour les niveaux d’étude à faible effectif tels que les Master 1 et 2, et les cours en ligne pour les niveaux d’étude à grand effectif tels que les Licence 1, 2 et 3. Pour ces niveaux à grand effectif, les cours magistraux et les travaux dirigés se font par visioconférence, grâce aux applications Zoom et Microsoft Teams. Pour cela, le Wifi des universités publiques, financé entièrement par l’État, permet aux étudiants de suivre les cours sans payer la connexion Internet. Quant aux cours en présentiel, les étudiants les suivent en portant des masques et en respectant la distanciation physique. À ce niveau, il faut avoir l’honnêteté de dire que certains étudiants rechignent à respecter totalement ces mesures barrières. Nous continuons de les sensibiliser sur l’impérieuse nécessité du respect des mesures barrières. Notons qu’outre les cours magistraux (CM) et travaux dirigés (TD) de Master 1 et 2, les travaux pratiques et les examens de tous les niveaux se font en présentiel. Pour les TP, cela s’explique par le souci d’une réelle acquisition de connaissances, et pour les examens cela est lié à un souci de crédibilité de nos diplômes.

Votre département ministériel s’occupe aussi de la recherche scientifique et pourtant, face à la Covid-19, on n’a pas vraiment senti l’ingéniosité de nos chercheurs…
Certes, vous parlez de recherche sur la Covid-19, mais je pense que votre observation est d’ordre général, en ce sens que certains de nos compatriotes n’hésitent pas à prendre à leur compte cette boutade bien connue dans notre pays : « Des chercheurs qui cherchent, on en trouve ; mais des chercheurs qui trouvent, on en cherche ». Il faut plus que relativiser cette perception des choses, car nos chercheurs trouvent. La preuve, ils publient suffisamment d’articles dans les journaux scientifiques à renommée mondiale, pour être promus au Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur, le Cames. Le seul problème, et non des moindres, c’est que les résultats de leurs travaux de recherche sont généralement valorisés au niveau académique et très peu au niveau économique. Ce qui fait que notre recherche scientifique contribue à la production mondiale du Savoir, mais a peu d’impact sur le développement économique de notre pays. Mon objectif est de changer ce paradigme. Cela dit, nos chercheurs ont tout de même contribué de façon notable au développement de notre pays, notamment au niveau agronomique. À titre d’exemple, ce sont les chercheurs du Centre national de recherche agronomique (Cnra) qui ont mis au point la variété de cacaoyer précoce dite « cacao 18 mois ou cacao Mercedes », dont l’apport à l’amélioration de la production nationale de cacao est tangible. Il en est de même du « café Émergence », une variété de café très précoce et à haut rendement. Pour revenir à la recherche sur la Covid-19, je dirais qu’il est difficile de demander à nos chercheurs d’être aussi efficaces que ceux des pays développés qui consacrent 2 à 4,5% de leur Pib à la recherche, là où notre pays n’y consacre que 0,35% de son Pib, chiffre qui est déjà important pour nous, vu le rapport de force économique entre ces pays et le nôtre. Malgré tout, nos chercheurs sont à pied d’œuvre. Ils sont en train de mener d’importants travaux de recherche sur la Covid-19. Par exemple, ils sont en train de chercher pourquoi les taux de positivité et surtout de létalité sont beaucoup plus faibles chez nous qu’en Europe ou aux États-Unis. Est-ce lié à notre climat et/ou au fait que nos organismes sont déjà immunisés contre ce coronavirus ? L’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire procède actuellement au séquençage des échantillons positifs prélevés en Côte d’Ivoire. Cela permettra de connaître le ou les variants de la Covid-19 qui circulent sur notre territoire. Je peux également citer le prototype de respirateur artificiel mis au point par les chercheurs de l’Inp-HB de Yamoussoukro et toutes les recherches qui sont actuellement menées sur les capacités préventive et curative de nos plantes.

Sous quel signe placez-vous cette année académique et quel appel avez-vous à lancer aux étudiants et aux enseignants ?
Cette année académique est placée sous le double sceau d’un enseignement supérieur performant, compétitif et tourné vers l’employabilité et d’une recherche scientifique d’excellence au service du développement du pays. La Matrice d’action 2021 du Mesrs s’inscrit dans ce cadre. S’agissant des étudiants, comme je le leur répète inlassablement en amphi ou lors de nos nombreuses séances de dialogue social, je leur dis simplement que la réussite de demain est le fruit du travail d’aujourd’hui ; rien de positif et de grand ne s’obtient dans la facilité. Quant aux enseignants, je leur dis que la Côte d’Ivoire de demain sera celle que nous construisons aujourd’hui ; le socle de cette construction est l’éducation-formation, dont ils sont les artisans premiers. Et à l’ensemble des acteurs de notre système d’enseignement supérieur et de recherche scientifique, je demande d’œuvrer dans le sens d’une Côte d’Ivoire réconciliée, unie, solidaire et prospère.
Fraternité-Matin

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