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Fin du franc CFA en Afrique de l’Ouest: «Une décision historique» (B. Le Maire)

Le président ivoirien Alassane Ouattara a annoncé, à l’occasion de la visite d’Emmanuel Macron dans son pays, une réforme importante du franc CFA, réforme qualifiée d’historique par le président français. En quoi consiste-t-elle ? Qu’est-ce qui va changer ? Et dans l’intérêt de qui ? Florence Morice a posé ces questions au ministre français de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire.

RFI : Ce nouvel accord que vous avez signé avec l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), est-ce juste une manière de répondre symboliquement aux critiques de l’opinion sur le CFA, perçu comme un vestige postcolonial, ou est-ce que l’on vient d’assister à la mort de cette monnaie en Afrique de l’Ouest ?

Bruno Le Maire C’est beaucoup plus qu’une décision symbolique. La décision qui a été prise par le président Alassane Ouattara et par le président de la République Emmanuel Macron met fin au franc CFA en Afrique de l’Ouest. C’est donc une décision historique. Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que les États membres du franc CFA en Afrique de l’Ouest n’iront plus déposer leurs réserves dans un compte du Trésor, le compte spécial du Trésor sera fermé. Jusqu’à présent, ils étaient obligés de déposer 50% de leurs réserves. C’était perçu effectivement par certains comme du « post-colonialisme », je reprends leur terme. Nous mettons fin à ce compte du Trésor, il sera fermé. Le franc CFA va prendre un nouveau nom. Il s’appellera « l’éco ». C’est le nom qui a été retenu par les États africains et nous continuerons en revanche à avoir une parité de change fixe avec l’euro pour garantir la stabilité monétaire. Mais c’est une décision historique : c’est la fin du franc CFA en Afrique de l’Ouest.

Combien de temps faudra-t-il pour que cet accord soit appliqué ?

Il doit s’appliquer début janvier, c’est-à-dire que chaque État aura la liberté de retirer ses réserves de change comme il le souhaitera du compte du Trésor. Mais ce compte sera définitivement fermé en 2020, de façon à marquer l’indépendance totale des États africains dans leur politique monétaire.

Qu’est-ce que cela va changer pour les détenteurs de francs CFA en Afrique de l’Ouest, qui pourraient se demander si leur argent aura toujours la même valeur ?

Je les rassure. Leur argent aura toujours la même valeur, justement parce que le président Alassane Ouattara a proposé avec beaucoup de sagesse aux autres États membres de la zone franc de garder la parité de change fixe avec l’euro. Donc cela est une garantie forte pour tous ceux qui, aujourd’hui, ont des francs CFA, qui paient avec des francs CFA, la stabilité monétaire et la protection contre l’inflation. C’est un point absolument décisif aussi. Il faut éviter que la fin du franc CFA se traduise par le retour de l’inflation en Afrique de l’Ouest. Et le fait que les États africains ont décidé de garder la parité de change fixe évite ce risque-là.

Ce maintien de la parité arrange aussi les intérêts économiques de la France, partenaire privilégié en Afrique de l’Ouest ?

Pardon, mais ça arrange surtout les intérêts des États d’Afrique de l’Ouest, parce que ça les rend attractifs. Avoir de la stabilité monétaire, c’est être attractif pour les investisseurs. Qu’est-ce qui fait fuir les investisseurs ? C’est quand ils se disent que la monnaie est fragile : il a va y avoir  de l’inflation, donc si j’investis, je vais me retrouver dans une situation d’instabilité économique. Là, c’est surtout bon pour les États membres de la zone, qui vont apporter aux investisseurs la garantie d’une monnaie totalement indépendante, mais stable.

Certains disent que cela pénalise les exportations des pays africains.

Je pense surtout que ça valorise les investissements en Afrique de l’Ouest. Et avoir une monnaie stable, ce n’est jamais quelque chose qui vous pénalise. Je pense au contraire que c’est un atout pour la création d’emplois. Prenez l’exemple des PME. Elles disent toujours qu’elles ont du mal à se financer. C’est vrai que c’est un défi absolument considérable pour les PME dans toute l’Afrique de l’Ouest. Avoir de la stabilité monétaire et pas d’inflation, c’est une garantie de financement aussi pour ces PME.

Si les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) n’ont donc plus l’obligation de placer la moitié de leurs réserves de change en France, pourquoi la France continue-t-elle de proposer les mêmes garanties qu’avant, et donc d’assurer qu’elle financera ces pays? Par exemple, s’ils n’ont plus de réserves de change ?

Ça, c’est vraiment la garantie en dernier ressort. Mais là, l’indépendance totale est garantie par cette décision historique. Indépendance totale, puisqu’il n’y a plus d’obligation de placer ces réserves de change au Trésor français, on ferme le compte. Une garantie totale parce que nous serons tout simplement plus autour de la table. C’est un changement majeur qu’il n’y ait plus de responsables français qui soient autour de la table de ces États membres de la zone. Les États membres de la zone sont désormais totalement libres de décider. Ensuite, avoir une garantie en dernier ressort. Si jamais il y a une crise de change, il faut savoir que la France se tiendra aux côtés des États membres de la zone s’il y a une crise. C’est juste une garantie, et une nouvelle garantie de stabilité qui est apportée, mais c’est une garantie en dernier ressort qui ne sera employée que, et uniquement si, il y a une crise financière.

Si la France n’a plus cette contrepartie des réserves de change qui étaient censées garantir cette convertibilité, quelles sont les nouvelles garanties que vous allez obtenir ? Est-ce que vous avez mis en place un mécanisme pour avoir un œil, un droit de regard sur la façon dont va être gérée cette nouvelle monnaie ?

Non, il n’y aura pas de droit de regard. Nous serons informés parce que ce sont des États partenaires économiques importants de la France. La Côte d’Ivoire est un partenaire économique important. Nous avons des relations économiques. Nous serons informés sur la situation de la politique monétaire, sur la situation économique, sur le niveau d’inflation. Mais il n’y a pas de droit de regard justement. Et la fin du franc CFA dans l’Afrique de l’Ouest, c’est l’ouverture d’une nouvelle ère des relations entre la France et le continent africain.

Aujourd’hui, la zone de l’UEMOA est stable. Mais que se passera-t-il concrètement si elle s’effondre ? Est-ce que la France peut garantir sans contrepartie, est-ce que vous avez prévu un mécanisme en cas de crise ?

Il y a un mécanisme effectivement en cas de crise, c’est-à-dire que la France sera garante en dernier ressort s’il y a une crise. Mais l’objectif, c’est évidemment l’indépendance totale des États de la zone franc, c’est leur capacité à se développer économiquement. Et je pense que le président ivoirien, Alassane Ouattara, a trouvé le bon équilibre, c’est-à-dire des décisions radicales : la fermeture du compte, la fin de la présence française autour de la table de discussion et une sécurité avec la parité de change fixe. Parce que cette sécurité doit garantir justement qu’on évite une crise financière, qu’on évite une crise économique et que les États d’Afrique de l’Ouest puissent poursuivre leur développement économique. Je rappelle juste qu’ils ont connu un développement économique fulgurant au cours des dernières années, et qu’il y a un modèle ivoirien, qui devient un modèle d’Afrique de l’Ouest, avec des niveaux de croissance compris entre 6 et 7% par an. Honnêtement, ce sont des taux de croissance qui feraient rêver beaucoup d’États. Et ces taux de croissance, ils sont adossés à la stabilité monétaire.

Est-ce qu’une telle réforme est envisageable aujourd’hui pour le franc CFA en Afrique centrale ?

C’est aux États de le décider. La France, elle, vous le voyez, est ouverte à des modifications radicales. Elle veut entrer de plain-pied dans le XXIème siècle avec des États africains dont l’indépendance financière, monétaire n’est pas contestée. Mais c’est à chacun de décider comment il va avancer, à quel rythme, suivant quelle modalité. Nous, nous sommes ouverts à tous les changements que demanderont les États africains.

Y compris en Afrique centrale ? Vous pourriez apporter la même garantie dans cette zone qui s’est montrée très vulnérable, notamment au choc pétrolier ces dernières années ?

C’est une zone qui est dans une situation économique très différente des États d’Afrique de l’Ouest. Mais nous sommes ouverts à la discussion et nous sommes aussi ouverts à des changements similaires.

Source RFI

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